Maxime Deurbergue, Manifesté dans la chair, proclamé en images. Fonder l’art dans le Christ avec Nicée II et Balthasar, Collection Cogitatio Fidei, Editions du Cerf.

L’image est-elle artifice ou théophanie ? Telle est la question que développe le livre Manifesté dans la chair, proclamé en images de Maxime Deubergue.

Prêtre du diocèse de Paris, il enseigne au collège des Bernardins. Ce livre est la publication de sa thèse de théologie couronnée par le prix Robert Bellarmin (Université Pontificale Grégorienne).

En 787 s’ouvre le deuxième concile de Nicée à la suite de la crise iconoclaste qui a divisé l’Église d’Orient. Occasion de donner une définition dogmatique de la théologie de l’image. L’auteur prend soin de traduire le cœur du texte du concile, appelé également l’horos, pour en montrer la clarté. Ainsi il est affirmé que « l’une des traditions de l’Église est l’expression du modèle à travers la représentation par l’image, en tant qu’elle entre en consonance avec l’histoire de la proclamation de l’Évangile en vue de confirmer l’incarnation du Verbe de Dieu ». Définition surprenante où ce n’est pas l’incarnation qui confirme la validité de l’image mais l’inverse ! La raison donnée est que « les choses qui se désignent l’une l’autre se réfléchissent aussi l’une l’autre ». De plus, il ne s’agit pas de représentation statique mais d’une correspondance qui s’articule autour et par l’histoire de la proclamation de l’Évangile ou, en d’autres termes, l’acte par lequel Dieu se rend visible.

Ceci conduit l’auteur à relire Hans Urs von Balthasar qui articule la pensée transcendante de l’être avec la dynamique historique de la révélation biblique. Elle trouve son accomplissement dans la figure du Christ Pascale, image totale où resplendit la profondeur de l’image trinitaire. L’image ainsi n’est pas regardée pour voir le prototype, mais contemplée afin que « le prototype » puisse librement se montrer dans son visage et son être ou sa nature. Il existe dans l’image proclamée dans le concile de Nicée 2 et dans son déploiement d’histoire esthétique Balthasérienne, un mouvement que l’on pourrait qualifier d’inverse avec celui de l’esthète qui contemple une œuvre ou s’y projette dans un sens psychologique. Dans un cas on reçoit l’être qui s’y montre à la manière dont il le désire, dans l’autre on maîtrise le sujet regardé – il s’ouvre ainsi une véritable école du regard dans la dynamique de la révélation.

Dans une troisième partie, l’auteur fait appel à Maurice Merleau-Ponty et son analyse phénoménologique entre sensation et perception qui donne une assise, presque physiologique, à la relation entre l’image comme sensation optique et sa compréhension perceptive qui, par un travail cognitif, lui constitue une « chair ». Les sciences cognitives nous ont montrés que l’image, loin d’une sensation externe et éphémère, sont en fait de véritable expérience de chair qui imprime celui qui regarde, question ô combien actuelle et qui impressionne à l’heure des écrans addictifs.

Dans une dernière partie, l’auteur part de l’élucidation de la théologie de l’icône du Christ de Christoph Schönborn vers un élargissement de la réflexion à l’ensemble des créations artistiques qui deviennent ainsi ce que l’on pourrait nommer l’hypostase de l’Esprit saint, avec les paroles mêmes de l’auteur. Ainsi est déployé une dynamique des œuvres d’art qui, au même titre qu’elles sont manifestations du prototype dans Nicée 2, deviennent hypostase de la présence de Dieu trinitaire.

Ce texte de lecture exigeante déploie pleinement le travail théologique qui articule la lecture théologique et dogmatique et la philosophie pour en ouvrir les champs de compréhension. A ce titre cet ouvrage est exemplaire. Il nous entraîne dans une véritable pédagogie de l’image qui prend toute son acuité dans notre monde des écrans et des images et qui nous indique la nécessaire maîtrise du regard, condition de la vie spirituelle vivante.

Gilles Berrut