Jean Claude Reichert, Réalisez ce que vous faites. Les rites de la Messe au regard de la lettre aux Hébreux, Collection Lex Orandi, Édition du Cerf, 2022, 260 p.

Le livre intitulé Réalisez ce que vous faites. Les rites de la messe au regard de la lettre aux Hébreux de Jean Claude Reichert vise à explorer les liens entre les éléments rituels de l’action liturgique et les éléments scripturaires de la lettre aux Hébreux.

Jean Claude Reichert enseigne au Theologicum de l’Institut catholique de Paris et à la faculté de théologie de Fribourg. Il a été directeur du Centre national de l’enseignement religieux.

Ce livre, que l’on peut qualifier de technique, parcourt la liturgie en montrant la relation entre l’Écriture, ici la lettre aux Hébreux, et la liturgie, non pas comme une sorte de décalque de l’un sur l’autre, mais plutôt comme une harmonique qui permet de préparer de cœur le fidèle qui lit les Écritures à entrer dans la dynamique de la liturgie, action toujours présente du Christ.

La lettre aux Hébreux peut être considérée comme un texte homilétique du premier siècle dont l’attribution « aux Hébreux » est sûrement tardive et matière à questionnement : les juifs, des chrétiens issus du monde juif ou des prêtres de Qumran devenus chrétiens ?

Jean-Claude Reichert en introduction met en garde sur le fait que les gestes et rites liturgiques doivent être interprétés en référence à la Bible, alors même qu’il ne lui donne pas leur origine. Il rappelle également que ce n’est pas chaque individu qui décide de donner une signification au rite, mais ce sont les fidèles qui sont invités à recevoir la signification, et c’est dans ce cadre qu’ils accueillent la signification des Écritures. Le texte Sacrosanctum Concilium (SC) de Vatican II, consacré à la liturgie, rappelle que notre participation au sacrement de l’Eucharistie, mais aussi aux offices liturgiques impose d’« harmoniser notre âme à notre voix » (SC 11). Ce que Paul affirme dans la lettre aux Romains « Je vous exhorte, frères, par la miséricorde de Dieu à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre » (Rm 12,1).

Ce parcours liturgique analyse le signe de croix qui inaugure la liturgie Eucharistique, l’oraison, le Kyrie, la figure Eucharistique de Melchisédech, l’invocation de l’Agnus Dei, l’hymne du Gloire à Dieu, l’acclamation de l’anamnèse et conclut sur une réflexion sur l’Église en prière, lieu privilégié du Christ prêtre.

Dans la première partie, par exemple, l’auteur examine les relations entre la lettre aux Hébreux et l’invocation du Kyrie Eleison.

Jésus est grand prêtre, miséricordieux, et il exerce son sacerdoce en étant miséricordieux. Ce qu’affirme la lettre aux Hébreux en précisant : « il [le Christ] a dû devenir en tout, semblable à ses frères, afin de devenir dans leur rapport avec Dieu, un grand prêtre miséricordieux et fidèle, pour expier les péchés du peuple. Car du fait qu’il a lui-même souffert par les preuves, il est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés » (He 2,17-18).

Le terme « miséricordieux » en grec, elèmôn [ελεημων], a deux dimensions complémentaires : pénitentielle dans sa relation à Dieu et compassionnelle dans la relation aux frères.

Le Christ, en tant que grand prêtre, combine le registre compassionnel et pénitentiel. Ce que précise la lettre aux Hébreux : nous n’avons pas un grand prêtre qui ne peut pas compatir à nos faiblesses, mais un qui a été éprouvé en toute chose semblablement, hormis le péché. (He 4,15).
Cette double négation, dit l’auteur, vise à écarter l’hypothèse que Jésus est parfois compatissant ou qu’il l’est dans certaines conditions, ce qui rendrait finalement nécessaire un mérite. La qualité compassionnelle définit son sacerdoce. Il est prêtre, entièrement compatissant, si bien que la pensée-même qu’il n’exercerait pas cette compassion reviendrait à nier son sacerdoce (p 115).

Cette affirmation devait être surprenante pour les auditeurs de la lettre aux Hébreux aux premiers siècles, car ils avaient probablement l’image d’un dieu impassible, et même l’idée qu’il soit compatissant était contraire à l’idée qu’ils se faisaient de Dieu. Dans le même temps, Dieu ne peut pas être sujet à des mouvements intérieurs, il est compatissant, car il est Dieu (p 116), ce que François Varillon affirme en disant qu’il existe tout entier dans la fonction de compatir1.

La compassion du Christ est signifiée à la fin du chapitre 4 en remplaçant le terme elémôn par supathein [συμπαθηαι] qui signifie « avec pathos » ou « souffrir avec », donnant le caractère radical de cette compassion. Le passif de ce verbe indique qu’il ne s’agit pas d’une action ou d’un sentiment, mais d’un état en dehors duquel on ne peut concevoir le Sacerdoce du Christ.

Ce que souligne de manière plus large Benoît XVI en affirmant : « la valeur des béatitudes pour le disciple procède du fait qu’elles ont tout d’abord trouvé l’archétype de leurs réalisations dans le Christ lui-même »2.

Jésus, grand prêtre, miséricordieux, souffrant avec nous, offre la possibilité d’être participant de sa grâce imméritée (p 120). Ainsi existe une articulation entre la pénitence et la grâce reçue. C’est pourquoi, dans la Présentation Générale du Missel Romain (PGMR 52), il est décrit le début de la célébration Eucharistique de la manière suivante : chant d’entrée, salutations, acte pénitentiel, Kyrie…
Le Kyrie commence après l’acte pénitentiel, car c’est l’acclamation du Christ qui nous donne la grâce, sans attendre notre mérite.
L’auteur rappelle que le Kyrie comprend trois temps :
– En premier, Kyrie Eleison, qui invite se rappeler que Dieu a envoyé son fils dans le monde ;
– En deuxième, Christe Eleison, qui nous rappelle que le Christ est venu en ce monde pour rendre un jugement (Jn 9,39) ;
– Et en troisième, Kyrie eleison : le Seigneur, qui siège à la droite du Père, intercède pour nous (Rm 8,34).

C’est pourquoi le Kyrie est une invocation et non une imploration, car nous demandons ce qui nous est de fait accordé, car le Christ est Grand Prêtre dans la mesure où il est miséricorde de Dieu.

L’auteur va plus loin. Ce don de miséricorde imméritée nous permet d’approcher avec assurance le trône de la grâce. Il nous donne le droit en Homme libre de prendre la parole dans l’assemblée (p 131). L’iconographie, montrant Dieu sur son trône, tenant dans ses mains le Christ en croix, rappelle que c’est par la Croix que le Christ a été « perfectionné » en vue de devenir un Prêtre miséricordieux, en mesure de porter secours à ceux qui sont éprouvés (He 2,18b).
L’image du trône de grâce mieux que l’imploration pénitentielle montre que l’on puise dans le sacerdoce du Christ le droit, la liberté, l’assurance de pouvoir s’adresser à la miséricorde de Dieu à laquelle on a part dans la célébration du sacrement (p 134).

Ce livre que l’on peut qualifier de technique est d’une lecture exigeante. Il est une vraie catéchèse de la liturgie et un instrument de travail en fraternité, par exemple pour approfondir la compréhension de ce que nous vivons en Église au cours de la liturgie. À l’heure où la forme tend à prendre une place envahissante dans les débats sur la liturgie, ce rappel de son fondement scripturaire donne les outils pour rejoindre cette présence du Christ offert et pour l’accueillir en vérité.

Gilles Berrut

1Varillon F., La parole est mon royaume, Paris, éditions centurion, 1986, 69 p.

2Ratzinger J. et Duthel F., Du baptême dans le Jourdain à la transfiguration, p 95, in Jésus de Nazareth, Editions De Noyelles, 2007, 428 p.