Jacqueline Kelen, Le Temps de la Bonté, Cerf, Paris, 2022, 248 pages

Jacqueline Kelen nous propose avec son livre Le temps de la bonté, une lecture du livre de Tobie. Ce livre de Tobie a été remis en cause dans sa canonicité comme tous les textes deutéro-canonistes, présents dans la traduction de la septante et absent de la bible hébraïque. Seules les Églises catholique et orthodoxe reconnaissent ce livre. Situé de manière littéraire au VIe siècle avant JC avant la chute de Ninive, il aurait été composé tardivement vers le IIe ou le IIIe siècle avant JC.

L’auteure nous prend par la main, reprenant l’itinéraire du vieux Tobit, malvoyant puis du jeune Tobie, son fils, cherchant un trésor dans le pays des Mèdes et y trouvant Sarra, sauvée des démons par l’Amour de Tobie avec l’aide de l’ange Gabriel dissimulé en guide nommé Azarias. Cette histoire spirituelle aux allures de conte philosophique abrite de nombreuses concordances avec l’Ecriture, mais aussi avec une relation complexe aux religions provenant de Perse, dont le manichéisme, et qui sans doute explique son rejet par la bible hébraïque. Comme le souligne l’auteure, « comme tout récit initiatique, il a valeur d’éveil car il s’agit toujours des tribulations de l’âme, et de sa tenace quête de lumière depuis l’exil jusqu’à la délivrance » (p. 78). Le paysage de cet itinéraire est aussi important que la provenance et la destination, et ce livre n’est donc pas un guide de voyage, bien qu’il fournisse aussi des informations structurées et référencées, mais surtout une respiration où notre compréhension puise dans l’imagination et la vie intérieure, les harmoniques. Ainsi il est rappelé que l’aumône dans sa racine hébraïque est à la fois signe de charité, mais aussi de justice et est en résonnance avec une « aumône mystique » qui est la « connaissance des mystères divins qui délivrent de la mort » (p. 82). Bien sûr les noces de Tobie et Sarra « qui lui a été destiné depuis l’origine » (p. 128), nous amènent à contempler « le mystère des âmes sœurs que seul le ciel connaît (p. 158). Pour signifier la hiérarchie entre le désir d’une présence à l’autre et son expression dans la sexualité, l’auteure donne une belle expression : « on a oublié que sur terre la maison de l’amour se construit par le toit » (p. 161). À ce sujet, il est rappelé que Saint Jérôme dans la vulgate a ajouté trois jours d’abstinence et de jeûnes avant les noces, qui n’existent pas dans toutes les versions des manuscrits qui nous sont parvenus. Cette insertion expliquerait la coutume des « nuits de Tobie » dans l’ancienne France. La prière de Tobie et Sarra au pied de leur lit de noce fait partie des textes préférés par les jeunes époux lors des célébrations du sacrement de mariage et nous sommes conduits par l’auteure à une lecture riche de toutes ses dimensions. Peut-être que ce livre pourrait être un texte conseillé aux futurs époux qui choisissent cette lecture ?

Les notations et références sont nombreuses et nous permettent d’approfondir notre compréhension de cette narration. Par exemple, le terme Brouhaha (p. 228) vient de l’hébreux Barukh Habba qui signifie « qui bénit le Seigneur » comme si l’agitation et le désordre du monde est aussi bénédiction de Dieu.

Jacqueline Kelen nous invite à un itinéraire qui s’inscrit dans le sillage du voyage initiatique de Tobit/Anne et de Tobie/Sarra. Le lecteur tout d’abord spectateur et intéressé, devient au cours de la lecture participant par son expérience et par son aspiration d’emprunter à son compte la quête spirituelle dont la foi est l’aiguillon. De lecture, aisée grâce à une écriture fluide qui associe précision et expression écrite accessible, il fait partie des livres que l’on souhaite partager.

Gilles Berrut, septembre 2022