Guillaume CUCHET, Le Catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ?, Editions du Seuil, 2021

En 2018, Guillaume Cuchet, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris-Est Créteil s’interrogeait : « Comment notre monde a cessé d’être chrétien ? », et analysait les causes de l’effondrement de la pratique religieuse en France au milieu des années 60.

Poursuivant son travail « d’historien du temps présent » (qui le contraint à travailler sans le recul nécessaire des cinquante ans et l’oblige à un travail de prospective sans connaître le terme de l’histoire), son interrogation rejoint la nôtre : « Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? » (Seuil 2021).

La question mérite d’être posée. Un sondage de l’IFOP au mois de septembre concluait qu’un français sur deux ne croyait plus en Dieu.

Les autres statistiques ne sont guère plus encourageantes.

Les pratiquants réguliers, ceux qui vont à la messe tous les dimanches (« les observants » selon la typologie présentée par le sociologue Yann Raison du Cleuziou) représentent 2% de la population. Alors oui, le catholicisme est devenu très minoritaire. Il rejoint en cela le protestantisme et le judaïsme qui s’étaient ralliés à la laïcité, dont l’auteur pense que bien comprise, elle serait une partie de la solution.

Le second cercle comprend ceux qui vont à la messe de temps en temps, soit 15% de la population : nous sommes encore très minoritaires.

En revanche, quand on pose la question : est-ce que la France est un pays de culture chrétienne ? trois français sur quatre répondent par l’affirmative.

Bien sûr, il n’y a pas de culture sans culte, mais jusqu’à quand la culture peut-elle survivre aux croyances et aux pratiques qui la fondent ? s’interroge l’auteur.

Alors, oui le catholicisme est en train de devenir une religion minoritaire, et c’est un événement majeur pour lui et pour la société française (cf « L’archipel français » de Jérôme Fourquet).

A ces éléments statistiques, s’ajoutent les effets des évènements récents : crise des abus sexuels, rapport Sauvé, conséquence de la crise du Covid sur la pratique dominicale.

Pour l’auteur, nous sommes les témoins, depuis près de soixante ans, de transformations profondes du paysage et de la pratique religieuse et la mue n’est pas achevée.

Comment sera le paysage religieux né de la grande rupture des années 60-70 quand les baby-boomers auront fini de mourir ? Ceux-là même qui ont encore bénéficié de la transmission de la foi et de ses rites de passage dont celui de la mort, avant de s’éloigner de la pratique religieuse ?

Souvent, écrit l’auteur, les petits enfants enterrent le catholicisme avec leurs grands-parents.

Et de décrire la décléricalisation des enterrements, l’engagement des laïcs pour le service des funérailles (qui suscite l’admiration de l’historien), ou l’engouement de nos contemporains pour la crémation.

Malgré cela, la spiritualité n’a pas disparu avec l’effacement du catholicisme.

Comme Marcel Gauchet en son temps, Guillaume Cuchet voit dans certaines pratiques sportives – le running par exemple – une forme d’ascèse témoignant que la spiritualité fait partie intégrante de notre nature humaine. Chassez le naturel, il revient au galop !

C’est aussi ce que l’on peut s’exclamer lorsque l’on constate le développement des nouvelles spiritualités, bouddhisme en tête qui semble avoir la côte « plus que Jésus » nous dit Cuchet. Sans parler des linéaires de livres traitant du développement personnel, « très médiocre littérature psycho-spirituelle qui nous tient lieu de maître intérieur ». C’est que notre époque individualiste se soumet mal aux contraintes d’une religion instituée et bimillénaire, et lui préfère la souplesse des spiritualités sans religion.

Pourtant, c’est en « spectateur engagé » que l’auteur ose plaider pour le catholicisme, et pense que même minoritaire, ce qui peut être une chance pour lui, il a encore de beaux restes.

Autre interrogation : l’Islam et le changement inédit du paysage religieux qu’entraine l’apparition de la deuxième religion déclarée en France.

Il y a, écrit l’auteur, « une inversion des courbes de ferveur », et cela peut susciter des inquiétudes.

Mais cela ne doit pas nous cacher le fait, plus silencieux mais le plus important : le décrochage de la jeunesse. Les jeunes sans religion, que les études américaines appellent les « none » (« no religion »), sont majoritaires. On en est souvent à la deuxième voire à la troisième génération du décrochage ; phénomène totalement nouveau dans l’histoire du catholicisme.

Pour l’Église, c’est un problème mais peut-être aussi une opportunité : présenter le Christ à toute une génération qui n’en a jamais entendu parler. Un défi à relever !

Guillaume Cuchet nous livre un essai foisonnant et passionnant, amplement documenté, qui plaide pour la responsabilité individuelle et personnelle de chacun d’entre nous :

« Le clergé, écrit-il en conclusion, passe son temps depuis le XIXème siècle à se demander ce qu’il a raté ou mal fait… C’est dans l’ordre des choses mais à la limite, c’est son histoire, pas la nôtre. Car il s’agit bien de notre histoire en définitive… »

Véronique JAQUET,
fraternité Bienheureux Jean-Joseph LATASTE,
Nancy