Tu étais là et je ne le savais pas

Caroline est ma voisine. Elle habite en face du stade de rugby où Syméon, mon fils de 18 ans, avait trois entraînements par semaine jusqu’à l’an dernier. Son immeuble est juste à côté du collège de Claire en quatrième, à côté du gymnase où Irénée 10 ans va au judo. Je passe deux à quatre fois par jour devant.

Mais je n’ai pas rencontré Caroline à la paroisse ou à la boulangerie. J’ai rencontré Caroline dans un livre. Dans le livre de Constance Vilanova Religieuses abusées. Le grand silence.

A la lecture de ce livre, je me suis dit qu’il fallait que je rencontre cette femme. Juste pour lui dire, je suis là et ici, dans ce territoire, il y a des chrétiens qui t’écouteront, une au moins ! Je savais juste qu’elle était quelque part sur le diocèse.

Quand j’ai trouvé ses coordonnées, je lui ai rendu visite comme on rend visite à une voisine. Elle me semblait extrêmement sur la défensive. A son discours, elle me semblait terriblement seule, puis je me suis aperçu qu’elle était connue par plusieurs personnes de la paroisse, de l’aumônerie de l’hôpital, de Saint Vincent de Paul… mais que sa parole n’était pas considérée de la même façon partout. Une dame est même venue chez elle, fin octobre 2021, après la publication du rapport de la CIASE, pour lui apporter un pot de confiture… et pour lui dire qu’elle exagérait de mettre en cause « un homme qui a fait tant de belles choses ».

Caroline est fragile et blessée. Elle a été opérée du dos, elle a des plaques de réduction de fracture à la cheville. Juste depuis octobre 2021, elle s’est fêlée le coccyx puis s’est fait une entorse au poignet.

Caroline est soutenue par Véronique Margron et suivi juridiquement par Gilles Berceville du couvent de l’annonciation.

Longtemps Caroline n’a pas raconté son histoire. Elle a attendu le décès de ses parents avant d’oser parler.

Caroline vient d’une famille non pratiquante. Un jour de ses 14 ans, en rentrant de l’école, violée battue, elle est laissée pour morte sur un bord de route. Pour éviter de rencontrer son agresseur, ses parents la changent d’établissement. Ils la scolarisent dans un établissement catholique. Elle accroche avec les religieuses, mais ne reparle plus jamais de ce qu’il lui est arrivé. Lors d’une retraite à Notre Dame de la Salette, elle rencontre la foi puis souhaite devenir religieuse.

En 1986, à 20 ans, elle fait une retraite de discernement chez les franciscaines à Lourdes. En ville, elle croise des membres de la communauté du Lion de Juda et de l’Agneau immolé. Fondée en 1973, reconnue par l’évêque d’Albi en 1979 cette communauté devient la communauté des Béatitudes en 1991. Caroline est invitée à une veillée dans la basilique souterraine. Puis séduite, elle rejoint alors la maison de Nouan-le-Fuzelier dans le Loir-et-Cher, pour poursuivre son discernement.

La communauté s’est installée en 1983 en pleine forêt de Sologne dans le domaine de Burtin, alors occupé par les Dominicaines de Béthanie.

Subjuguée et fervente, elle donne tout à la communauté, ses journées à astiquer, ses nuits en tour de rôle d’adoration. Elle est réduite en esclavage consentant à nettoyer la demeure pour accueillir les retraitants. C’est dans ce contexte qu’elle rencontre le père Jacques Marin pour une confession dans son bureau. Après plusieurs mois de rendez-vous, elle parle pour la première fois depuis ses 14 ans de son agression. Il lui met alors les mains sur la poitrine et entre les jambes : « il faut que je touche pour que la guérison opère ». Caroline est sidérée et ne réagit pas. Agressée par la star de la communauté, elle ne peut rien dire et gardera son secret confiné en elle. Mais elle a de plus en plus mal au dos et ne peut plus assumer le rythme de travail et d’ascèse.

A 24 ans, elle est mise dehors de la communauté des Béatitudes et retourne chez ses parents. Elle devient aide-soignante à domicile.

Quelques années plus tard, à l’âge de trente-cinq ans, elle tente à nouveau l’expérience communautaire cette fois chez les sœurs de l’Agneau. Pour ressortir huit ans plus tard pour les mêmes raisons, épuisement physique et douleurs de dos.

Elle travaille ensuite comme aide-soignante à domicile accompagnant des personnes âgées en fin de vie. Puis elle accompagne la fin de vie de ses parents qui décèdent l’un après l’autre à deux mois d’intervalle.

En 2018, à 49 ans, Caroline regarde un documentaire « Pédophilie, un silence de cathédrale ». Ce film réactive les traumatismes. Ses deux agressions lui reviennent en mémoire et en sensations tactiles et olfactives. Alors elle peut se mettre à dire ce qui était enfoui.

Son dépôt de plainte lui donne l’espoir d’une résolution judiciaire, jusqu’au décès de Jacques Marin en octobre 2019.

Son témoignage prévu à la maison diocésaine de Limoges en septembre 2019, organisé par l’Action Catholique des Femmes, est interdit par l’évêque « sans contrepoint explicatif » (voir article de La Croix). Mais quelques mois plus tard, en février 2020, Véronique Margron est invitée à prendre la parole dans le même lieu sur les violences sexuelles dans l’église devant les prêtres et laïcs avec lettre de mission. Alors que tout le monde est installé, Véronique donne le micro à Caroline pour qu’elle témoigne de ses agressions. Véronique poursuivra son intervention en seconde partie.

Depuis Caroline parle, prend la parole, s’exprime sur son site internet, répond aux interviews. Mais elle recueille aussi les paroles de familles, de personnes abusées qui se confient à elle pour la première fois. Son conseil est immuable :

« D’abord, il faut porter plainte. Écrivez au procureur ! Décrivez les faits. »

Caroline Pierrot

Vous pouvez rentrer en contact avec Caroline Pierrot via sa page Facebook, ou bien je peux relayer vos messages.

Caroline parle et continue de parler pour tous ceux et celles qui ne peuvent pas parler !

Les violences pédophiles ont été dénoncées mais n’ont pas été reconnues les violences sur personnes majeures fragiles.

Yacine Pasturel,
fraternité de Limoges,
lundi 20 décembre 2021

Références :

  • Constance Vilanova, Religieuses abusées. Le grand silence, Édition Artège, 2020
  • Richard Puech, Pédophilie, un silence de cathédrale (documentaire), France 3, 21 mars 2018
  • Prêtres pédophiles et maintenant, que fait l’Eglise ? (débat), France 3, 21 mars 2018
  • Héloise de Neuville, A Limoges, crispation autour d’un témoignage d’une victime d’abus sexuels, www.lacroix.com, 3 septembre 2019

Pour aller plus loin :

  • Véronique Margron, Un moment de vérité, Albin Michel, 2019
  • Agnès de Préville, Le corps brisé de Caroline, Golias, mai-juin 2019 p.41
  • Emprise et abus spirituel (reportage), KTO, disponible sur YouTube ici