J’ai découvert la présence des Dominicains aux marges de l’Église et de la société

Quand j’étais étudiante, j’ai habité un an au 71 rue de Grenelle, à Paris. A cette adresse, une congrégation de sœurs dominicaines avait conçu un projet pastoral pour des étudiantes. Sur deux étages, nous étions ainsi onze étudiantes. Chaque mardi, nous avions une activité en commun. C’est dans ces circonstances que j’ai rencontré saint Dominique et l’esprit dominicain dans la proximité des sœurs dominicaine, j’ai été touchée par la question de la liberté, très importante pour moi. Cette année-là, j’ai aussi découvert la présence des Dominicains aux marges de l’Église, de la société. Ce souci des gens en-dehors du « système », de la « communauté officielle » constitue pour moi une part incontournable du message évangélique. La recherche de la vérité de l’Ordre dominicain m’a alors aussi beaucoup interpellée. Cette recherche d’un ajustement constant entre ce que nous posons en actes et en paroles d’une part et notre être profond d’autre part…

Le charisme de la famille dominicaine est d’actualité à toutes les époques

Quand je me suis engagée au sein des Fraternités Laïques Dominicaines, en 2008 puis définitivement en 2011, je souhaitais signifier ce qui était déjà, c’est-à-dire le consentement à devenir dominicaine. A mes yeux, un engagement à vivre sa foi dans une spiritualité particulière consiste à donner une tonalité particulière à ce que tout baptisé est appelé à vivre. Comme tout baptisé, nous sommes appelés à vivre la chasteté en renonçant à mettre la main sur l’être (l’autre), l’obéissance en renonçant à mettre la main sur le vouloir (consentir à la volonté de Dieu) et la pauvreté en renonçant à mettre la main sur l’avoir. Pour vivre ce type d’engagement, de rapport chrétien au monde, l’ordre dominicain m’a semblé très adapté. Certaines congrégations religieuses nées au XIXe siècle étaient comme des réponses données aux besoins du moment : accès à l’éducation, à la santé, lutte contre la pauvreté, etc. Et depuis, leurs œuvres ont été reprises tout naturellement par les pouvoirs publics. La famille dominicaine s’appuie sur la Parole et la prédication, son charisme est d’actualité quelles que soient les époques.

Le rôle des laïcs dans la prédication et dans l’Église au XXIe siècle

Aux côtés des sœurs et des frères dominicains, les laïcs ont un rôle à jouer dans cette prédication, sur des missions ou des apostolats complémentaires des religieux. Leur parole est tout particulièrement incarnée et appropriée en pastorale du travail ou de la famille. Un laïc qui prêche sur la souffrance au travail, sur la question du divorce, sur les difficultés à transmettre la foi à travers les générations, le fera toujours avec une tonalité propre à la spécificité de sa présence au monde, celle de partager le même quotidien que le voisin, l’athée, le collègue, celui qui travaille, qui a des enfants… Après le monachisme des premiers siècles puis l’importance du clergé dans les siècles qui suivirent, le rôle des laïcs dans la prédication et la construction de l’Église jouera un rôle déterminant au XXIe siècle. A ce sujet, il me semble qu’une annonce de la foi implicite est plus adaptée et pertinente qu’une annonce explicite. Le témoignage par les actes me semble en effet le plus adapté à notre société dans laquelle les gens cherchent à se faire une opinion par eux-mêmes.

Le développement durable, un grand défi pour les chrétiens

Femme de mon temps, je désire vivre ma foi chrétienne jusque dans les enjeux cruciaux qui concernent nos sociétés. Où les chrétiens doivent-ils être engagés aujourd’hui ? Du temps de saint Vincent de Paul, il fallait rejoindre l’humanité dans sa pauvreté matérielle. Ceci est encore malheureusement vrai, mais aujourd’hui notre société a des défis qui lui sont propres. Le développement durable est l’un des grands défis que les chrétiens de notre temps doivent investir avec leurs frères en humanité. Il s’agit pour nos sociétés de viser un développement économiquement viable, socialement juste et écologiquement sain. Si l’Église n’a pas vocation à faire de la politique, elle n’en demeure pas moins un acteur de la gouvernance locale ou mondiale. Pour les chrétiens, cette dynamique peut s’adosser à la pensée sociale de l’Église. La notion de biens publics tels que l’eau, la biodiversité, etc., défendue par le développement durable rejoint la « destination universelle des biens » prônée par la doctrine sociale de l’Église, de même pour le principe de solidarité ou de subsidiarité que l’on retrouve tous les deux à la fois dans le concept de développement durable et dans la pensée sociale de l’Église.

Je ne me retrouve pas toujours dans l’Église institutionnelle

Plus de 50 ans après Vatican II, je trouve que ce que nous vivons aujourd’hui au sein de l’Église est très dur. Entre une certaine forme d’intolérance, une part non moins réelle de misogynie et divers problèmes majeurs autour des mœurs, je ne me retrouve pas toujours dans l’Église institutionnelle, comme beaucoup. Mais ces déceptions n’impactent pas ma vie spirituelle. Je sais aussi qu’un chrétien seul est un chrétien en danger. Je dirais donc que l’Ordre des Dominicains est le seul point d’ancrage qui me rattache encore à l’Église institutionnelle. Il représente vraiment pour moi une forme d’ouverture que je ne retrouve peut-être pas ailleurs dans l’Église. Aujourd’hui, en tant que laïque dominicaine, j’ai donc le désir d’être-avec, d’être-pour, d’être tout simplement, dans une liberté, celle des enfants de Dieu.

Céline,
ingénieure agronome,
Fraternité Pierre Claverie,
Paris